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7/10/2025

Réinventer l'existant : pourquoi la réhabilitation des bâtiments anciens est essentielle pour notre avenir

Le Québec construit, mais pas assez vite. Pendant ce temps, des centaines de bâtiments patrimoniaux se dégradent, des églises ferment leurs portes, des monastères tombent en ruine. La solution ne se trouve peut-être pas dans de nouveaux terrains en périphérie, mais dans ce qui existe déjà.

Réinventer l'existant : pourquoi la réhabilitation des bâtiments anciens est essentielle pour notre avenir

La construction neuve ne suffira jamais

Un bâtiment résidentiel neuf émet environ 80 tonnes de CO2 en moyenne. La construction de bâtiments neufs représente environ 11 % des émissions de gaz à effet de serre d'origine humaine dans le monde. Démolir pour reconstruire multiplie cette empreinte.

Réhabiliter réduit l'impact de moitié, parfois davantage. Le temps de renouvellement des habitations n'est que de 1 à 2 % par an. Conséquence : 60 à 70 % du parc de logements de 2050 est déjà construit. Ignorer ces bâtiments existants, c'est passer à côté d'un réservoir énorme de logements potentiels.

Les promoteurs le savent. La réhabilitation coûte parfois moins cher que le neuf, surtout quand les fondations, la structure et l'enveloppe extérieure tiennent encore. Les économies se chiffrent en millions sur les gros projets.

Le patrimoine bâti, un réservoir inexploité

Le Québec compte des centaines d'églises, de monastères, d'écoles et d'usines désaffectés. En 2024, le ministère de la Culture et des Communications a attribué 25 millions de dollars à 86 projets de restauration et de requalification du patrimoine religieux québécois. Mais en juin 2025, le ministère a suspendu ses programmes d'aide pour « réfléchir » à des modalités d'avenir.

Cette pause inquiète. Sans soutien financier, les propriétaires de bâtiments patrimoniaux peinent à boucler leurs projets. Les coûts de mise aux normes explosent, les délais s'étirent, et certains projets avortent avant même de démarrer.

À Montréal, seuls les bâtiments vacants depuis plus de 4 ans et situés dans les sites patrimoniaux sont admissibles aux subventions à la rénovation. Cette restriction écarte des dizaines de projets potentiels. La Ville de Québec offre aussi des programmes de subvention pour la conservation et la mise en valeur de l'architecture ancienne, mais les enveloppes restent limitées.

Altera : quand un monastère devient un immeuble convoité

C'est dans ce contexte exigeant que le projet Altera a vu le jour à Château-Richer. Un ancien monastère en plein cœur de la ville, chargé d'histoire, transformé en appartements haut de gamme. L'architecture d'origine a été respectée, les volumes préservés, le caractère intact.

La transformation a nécessité des mois de coordination avec une équipe multidisciplinaire. Architectes, ingénieurs, consultants en patrimoine. Chaque détail technique devait répondre aux exigences modernes tout en préservant l'âme du bâtiment. Ventilation, insonorisation, isolation, sécurité : autant de défis qui exigent créativité et expertise.

Trois mois après la mise en location, Altera affiche un taux d'occupation de 95 %. Le marché ne s'est pas contenté d'accueillir le projet : il l'a adopté massivement. Les locataires recherchent cette combinaison rare d'authenticité et de confort moderne, de cachet historique et de commodités actuelles.

Les vieux murs résistent aux normes modernes

Un monastère, ce n'est pas un condo standard. Les murs font parfois trois pieds d'épaisseur. Impossible d'y percer des conduits de ventilation comme dans du gypse. Les plafonds culminent à 15 pieds. Le chauffage et la climatisation doivent couvrir des volumes trois fois plus grands que la normale. Entre deux appartements, le moindre bruit se propage si l'insonorisation n'est pas repensée de A à Z.

Côté environnemental, réhabiliter bat la construction neuve à plate couture. Mais l'économie de carbone vient avec son lot de casse-têtes. Les codes du bâtiment de 2025 n'ont pas été écrits pour des structures de 1920. Les sorties d'urgence, la largeur des escaliers, la hauteur des garde-corps : rien ne correspond. Il faut négocier avec les inspecteurs, justifier chaque décision, trouver des compromis qui respectent l'esprit des normes sans détruire le bâtiment.

Personne ne mène ce genre de projet seul. L'architecte connaît le patrimoine mais pas les systèmes mécaniques modernes. L'ingénieur maîtrise la structure mais ignore comment obtenir un permis pour un bâtiment classé. Le consultant en patrimoine défend l'intégrité historique sans toujours saisir les contraintes budgétaires. Ça prend une équipe qui se parle, qui s'écoute, qui accepte les compromis.

Les avantages dépassent l'empreinte carbone

Un monastère reste un monastère, même transformé. Sa façade de pierre, ses hautes fenêtres, son volume imposant continuent de marquer le paysage. Pareil pour les anciennes usines devenues lofts : les poutres d'acier apparentes, les briques rouges, les planchers de bois franc usés racontent cent ans d'histoire. Démolir efface cette mémoire. Réhabiliter la préserve.

Les villes densifient sans s'uniformiser. À Montréal, les anciens entrepôts du Vieux-Port logent maintenant des familles. À Québec, des couvents désaffectés accueillent des retraités. Pas de tours identiques, pas de condos interchangeables. Du logement qui a du caractère, une identité propre. Et ça se paie. Les loyers dans ces bâtiments dépassent souvent de 15 à 20 % ceux des constructions neuves standard.

L'argent investi reste ici. Pas de matériaux importés d'Asie, pas de main-d'œuvre détachée. Des maçons qui savent restaurer la pierre, des menuisiers capables de reproduire des moulures centenaires, des consultants qui connaissent les archives municipales. Chaque dollar dépensé circule dans l'économie locale, crée des emplois spécialisés, forme la prochaine génération d'artisans.

Une nécessité pour l'avenir du logement québécois

L'étalement urbain a ses limites. Les infrastructures coûtent cher à étendre, l'automobile règne, les services se dispersent. Densifier les centres établis répond à tous ces enjeux. La réhabilitation permet d'ajouter des centaines d'unités sans grignoter de nouveaux terrains.

Le succès d'Altera prouve que le marché est prêt. Les promoteurs qui hésitent encore devraient regarder ce taux d'occupation de 95 %. Les acheteurs et locataires recherchent activement ces projets qui allient patrimoine et modernité.

Les gouvernements doivent suivre. Suspendre les programmes d'aide au moment où la demande explose envoie le mauvais signal. Le secteur privé peut porter une partie du risque, mais les bâtiments patrimoniaux exigent souvent un coup de pouce pour franchir le cap de la rentabilité.

On ne réhabilite plus par nostalgie. On le fait parce qu'on n'a pas le choix. Le Québec manque de logements, l'étalement urbain coûte trop cher, et chaque tonne de béton coulée alourdit le bilan carbone. Le Québec possède un patrimoine bâti exceptionnel. Le transformer en logements du 21e siècle commence à peine.